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  le blog de Bernard Giusti

Articles littéraires (romans, nouvelles, poésies, essais, sciences humaines) ) politiques et syndicaux

Il y a cent ans, la Révolution d’Octobre

Publié le 2 Novembre 2017 par Bernard Giusti in Articles politiques et syndicaux, Histoire

Il y a cent ans, la Révolution d’Octobre

 

«Dix jours qui ébranlèrent le monde»

 

Alors que la guerre de 14-18 fait rage entre la Triple-Entente(1) et les Empires centraux(2), et que des millions d’hommes meurent au combat au nom d’intérêts contradictoires de la bourgeoisie, la révolution russe de 1917 est un séisme politique d’une importance capitale pour le mouvement ouvrier et le communisme révolutionnaire. Dans les dures conditions de la guerre et du désastre économique, le prolétariat russe se soulève et renverse le tsarisme.

Pour les travailleurs du monde entier, soumis à l’exploitation quotidienne des patrons et des financiers, la Révolution d’Octobre suscite un immense espoir : l’un des plus grands pays de la planète est gouverné par des ouvriers, des paysans, des employés ! Pour la première fois dans l’histoire de l’Humanité, le prolétariat est au pouvoir !

 

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En février 1917, les grèves et manifestations insurrectionnelles à Petrograd poussent le tsar à abdiquer. Un gouvernement provisoire favorable à la bourgeoisie est alors formé, mené par Kerenski. Mais dans le même temps le soviet(3) de Petrograd est créé, et des soviets d’ouvriers et de soldats se forment rapidement dans les grandes villes puis dans les campagnes. Dans les soviets, les classes populaires se réunissent pour discuter mais aussi pour autogérer toute une partie de la vie locale.

Le gouvernement provisoire bourgeois (favorable à une économie libérale, comme aujourd’hui en France) ne veut prendre aucune mesure trop radicale, pas même la proclamation de la République et il refuse les revendications des soviets (la paix, la terre aux paysans, la journée de 8 heures...). Dès lors l’opposition est entièrement constituée de « socialistes » (même si le premier parti, le parti Socialiste-Révolutionnaire (SR), est davantage une force petite-bourgeoise).

Les dirigeants bolcheviks présents en Russie (Kamenev, Staline, Molotov...) suivent les autres socialistes, considérant que leur ligne de soutien à la révolution bourgeoise passe par le soutien au gouvernement provisoire. Mais de retour d’exil, Lénine s’oppose à cette ligne de collaboration avec les socio-démocrates et fait aussitôt paraître ses Thèses d’avril. Il soutient qu’il faut dénoncer le gouvernement provisoire comme incapable de satisfaire les revendications démocratiques, ouvrières et paysannes, et il revendique « tout le pouvoir aux soviets », pour créer un Etat « du type de la Commune de Paris ». En s’appuyant sur la base ouvrière, il parvient à faire changer l’orientation de son parti.

 

La révolution d’Octobre marque la seconde phase de la Révolution russe de 1917, après la révolution bourgeoise de février. Son point d’orgue est l’insurrection du 24-25 octobre. Appuyé sur les soviets, le parti bolchevik de Lénine réussit à donner une direction politique de classe qui mène en octobre à la première vraie révolution prolétarienne de l’Histoire, laquelle engendrera une vague révolutionnaire en Europe.

 

Dans les villes russes, beaucoup d’ouvriers se mettent en grève, mais les plus avancés considèrent déjà ce mode d’action comme dépassé et se rallient à l’objectif de l’insurrection.  Lénine, avec l’appui de Trotski, parvient le 10 octobre à rallier une majorité à une motion qui met à l’ordre du jour immédiat la préparation de l’insurrection. Le soviet de Petrograd décide la création d’un Comité militaire révolutionnaire (CMR) qui coordonne les soldats fidèles aux soviets. Une section de gardes rouges (ouvriers armés) est également créée.

Le 24 octobre, les défections de troupes continuent parmi celles qui étaient jusque-là contrôlées par le gouvernement bourgeois de Kerenski. Dans la nuit du 24, le CMR fait occuper les centres névralgiques de Petrograd : ponts, gares, banque centrale, centrales postale et téléphonique. Des troupes et des officiers sont arrêtés et désarmés. Parfois, les bolcheviks font preuve d’une trop grande indulgence : sûrs de leur force, ils espèrent le moins de violence possible ; ils auront plus d’une fois à le regretter par la suite, pendant la guerre civile.

Le matin du 25 octobre, le CMR annonce qu’il a pris le pouvoir et que le gouvernement est démis. En fait, celui-ci siège toujours au Palais d’hiver, dont la prise a été retardée. Dans la journée, le siège du gouvernement bourgeois est évacué sans arrestation. La prise de la capitale s’est globalement déroulée dans le calme, causant seulement 5 morts et quelques blessés. Pendant l’insurrection, les tramways continuent à circuler, les théâtres à jouer, les magasins à ouvrir.

La seule tâche qui reste est donc la prise du Palais d’hiver. Le dispositif de défense du Palais d’hiver est en déliquescence, les junkers et les cosaques(4) ne savent pas quelle attitude adopter. Dans la nuit, suite à une canonnade purement démonstrative de l’Aurore(5), le Palais d’hiver tombe sans combat, et le gouvernement est arrêté, à l’exception de Kerenski qui a réussi à s’enfuir vers le front.

 

Le Congrès des soviets se réunit le matin du 25, et Lénine déclare que le pouvoir est désormais aux mains des soviets et qu’il s’agit « d’édifier l’ordre socialiste ». Les premières mesures politiques du nouveau pouvoir sont prises par le Congrès lui-même, dans la nuit du 26 au 27. En 33 heures sont prises des mesures que le gouvernement provisoire bourgeois n’avait pas prises en 8 mois d’existence :

- appel à tous les pays belligérants pour mettre fin à la guerre et discuter d’une paix juste et démocratique

- décret qui affirme que la terre appartient à ceux qui la cultivent

- création du nouveau gouvernement, le « soviet des commissaires du peuple »

De nombreuses autres réformes furent lancées dans les jours ou les mois suivants :

- Décret instaurant le contrôle ouvrier dans les usines, journée de 8 heures et semaine de 48h,

- Annulation de la dette publique russe et nationalisation des banques et des grandes industries.

- Fin de toute discrimination en fonction de la nationalité et droit à l’autodétermination(6)

- Egalité complète des droits pour les femmes, affirmation de l’égalité des salaires et mesures sociales pour transformer la famille. Fin de la discrimination à l’égard des enfants illégitimes. Dépénalisation de l’homosexualité. Légalisation de l’avortement en 1920. 

- Mesures volontaristes pour alphabétiser la population et favoriser l’éducation. Suppression des frais universitaires

 

La prise de Moscou fut plus violente, et dura du 28 octobre au 2 novembre. Les bolcheviks occupent le Kremlin puis la direction locale hésite et signe une trêve avec les autorités socio-démocrates locales avant d’évacuer le bâtiment. Les troupes du gouvernement bourgeois en profitent alors pour abattre à la mitrailleuse 300 gardes rouges désarmés, sous les ordres du maire social-démocrate Roudnev. Les socio-démocrates s’associent à des monarchistes pour mener une sanglante répression contre le peuple. Il faudra une semaine de combats acharnés avant que les bolcheviks, conduits par Boukharine, ne s’emparent finalement de la ville.

 

L’une des premières tâches du gouvernement révolutionnaire sera de mettre fin à la guerre avec l’Allemagne, qui a ruiné le pays et décimé les troupes russes. Le traité de Brest-Litovsk fut signé le 3 mars 1918 entre les gouvernements des Empires centraux, menés par l’Empire allemand et la jeune République russe bolchevique, et mit fin aux combats sur le front de l’Est.

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Des étrangers présents en Russie adhèrent activement à la révolution d’Octobre(7). En mars 1919, André Marty et Charles Tillon mènent la mutinerie de la flotte française en mer Noire contre l’intervention contre les bolchéviks. Certains prisonniers de guerre des Empires centraux, convertis au bolchevisme pendant leur captivité en Russie, se sont faits les propagateurs de la révolution à leur retour au pays : le Yougoslave Josip Broz, futur maréchal Tito, n’est que l’exemple le plus célèbre.

 

La révolution d’Octobre n’est d’abord perçue que comme une péripétie politique après bien d’autres. La bourgeoisie est rassurée, Kerenski est l’un des leurs. Ensuite, ni l’Entente (Français et Anglais) ni les Empires centraux ne croient au début à la durée du nouveau pouvoir bolchevik. Après le draconien traité de Brest-Litovsk, l’Entente intervient sur le territoire russe contre les bolcheviks pour empêcher la disparition du front oriental, le reproche principal fait aux bolcheviks étant leur « trahison » de l’alliance. Après l’armistice de Rethondes en 1918, c’est la révolution en tant que telle qui est combattue par les bourgeoisies occidentales.

 

Aux États-Unis, la red scare ou peur des « Rouges » marque les années d’immédiat après-guerre et contribue aux réactions autoritaires, puritaines et xénophobes (les migrants sont perçus comme des porteurs potentiels du « virus » bolchevique) qui marquent les années 1920. En Allemagne, en Hongrie, en Italie, les forces conservatrices, nationalistes ou fascistes, parfois alliées pour un temps à des sociaux-démocrates, se battent pour réprimer par la violence le « bolchevisme » (un mot d’ailleurs élastique, sous lequel ils finissent par regrouper abusivement tout partisan d’un changement social, voire n’importe quel adversaire). En 1919, la peur et la haine du bolchevisme et de la révolution d’Octobre, de ses avatars et de son extension possible jouent un rôle non négligeable dans la formation des idéologies et des mouvements de Benito Mussolini en Italie et d’Adolf Hitler en Allemagne.

Dans les pays colonisés, la révolution d’Octobre suscita aussi des espoirs importants parmi les travailleurs colonisés.

 

De nos jours, la bourgeoisie (de l’extrême droite aux socialistes) a toujours aussi peur du «bolchévisme » (communisme). 

En témoigne la propagande qui sévit à travers les nombreux documentaires ou articles destinés à dénaturer ou falsifier les faits historiques afin de mieux déconsidérer tous les régimes favorables aux travailleurs et aux plus pauvres (l’URSS bien sûr, mais aussi Cuba ou le Venezuela par exemple). Bref, tous les régimes qui remettent en cause le droit de la bourgeoisie de pouvoir exploiter les travailleurs sans aucune retenue. Mais ils ont toujours des Macron, des Merkel  ou des Trump dans leur manche pour sauvegarder leurs intérêts contre les aspirations populaires....

 

 

Bernard Giusti

15-10-17

article paru dans l'Anti-Casse n°16, le journal de la CGT Cochin

 

1 - Alliance de la France, du Royaume-Uni et de la Russie impériale

2 - Allemagne, Autriche-Hongrie, Empire ottoman et Bulgarie

3 - « conseil », en russe

4 - Troupes pro-tsaristes

5 - Canonnière qui s’est ralliée au peuple

6 - Au cours des années suivantes 5 états indépendants furent créés, et au sein de la fédération russe 17 républiques autonomes et régions furent établies.

7 - Ainsi son futur historien, le journaliste américain John Reed, qui publia le livre «Dix jours qui ébranlèrent le monde»

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