Une poésie profonde et envoûtante
La poésie de Philippe Cantraine se lit comme on regarde une toile impressionniste, ensemble de petites touches d’ombres et de lumières, d’images et sensations réunies dans un seul cadre, la vie du poète.
De fait, avec ce recueil, Philippe Cantraine nous offre en partage un voyage existentiel, avec ses gouffres et ses écueils.
Gouffres ouverts par l’inéluctable fuite du temps :
Alors je pense je pense beaucoup trop
vite pour que les vies qui au sablier se concluent
Qu’aucune main jamais ne retournera plus Je pense
comme si j’allais filer éternellement ce temps
de Parques (1)
Ecueils à partager l’indicible de la plus intime conscience de l’être :
C’est dans mon cœur que je
parle
Je suis sans voix (2)
Succession d’instants, de sensations et d’émotions, la poésie de Philippe Cantraine s’étire au fil des pages semblable à un bruissement sourd dans le vacarme du monde.
La grande patience se niche dans l’attente de l’avenir, de l’instant d’après, de l’instant à venir, patience semblable à ce jeu dont les cartes se dévoilent une à une et qui ne prennent leur place et leur valeur qu’une fois retournées. Ainsi les rencontres, les expériences, les images et les instants se succèdent-ils comme autant de parenthèses temporelles qui prennent leur sens dans l’après-coup et ne trouvent leur cohérence que dans l’existence même du poète.
Le recueil s’achève par de courts textes en prose qui prolongent les poésies et d’une certaine façon les réactualisent en les insérant dans le déroulement plus général de la marche du monde.
Le dernier texte est consacré à Léon Tolstoï, qui a inspiré à Philippe Cantraine le titre de son recueil :
« Devant la grande patience, il y a Tolstoï tout entier. […] Je vieillis ces temps-ci, enseveli dans les pages. […] Au plus profond du fourmillement des mots, cette démêlée confuse à renouer… »(3)
Tolstoï dont on ne manquera pas de se rappeler la fameuse citation « Les deux guerriers les plus puissants sont la patience et le temps. » qui correspond si bien au « combat » du poète engagé dans un questionnement incessant et assujetti à un manque irréductible :
C’est quand les mains
finalement maîtrisent les
pages que pour toujours
la braise d’un gouffre luit
au fond (4)
Bernard Giusti
Devant la grande patience, Philippe Cantraine, poèmes, Ed. Caractères 2024, 96 pp.
- P.13
- P.15
- P.87
- P.32
Publié sur Fle et cultures francophones