Et l’amour étranglé/dans les bras du silence
Comment supporter la finitude d’un être, d’un proche, d’un ami, d’un parent, d’un être aimé ? C’est la question. Que se pose et qu’a dû se poser chaque être vivant depuis la création… mammifères, animaux, premiers êtres humains. Existe-t-il une échelle dans la douleur de la séparation définitive d’avec un être aimé ?
Au-delà de la question d’ordre philosophique, c’est un questionnement sourd, permanent, obsédant qu’est la perte, notamment celle de son double aimé… La douleur de l’amour perdu, surtout lorsque la mort l’emporte, emporte-telle tout ? Que reste-t-il après ? Que pèse le néant pour ceux qui restent ?
J’avais écrit il y a très longtemps ce seul poème dont je me souvienne constamment :
Quête du néant
Au néant d’ailleurs
Ecrire
C’est se suicider avec parcimonie.
Il y a un avant et un après ; à toute chose vivante. La mort n’est pas étrangère à ce cycle infernal. Seul l’art je le crois dépasse ce cadre du vivant dans ses limites biologiques ; l’œuvre naît, vit et ne meurt jamais. Faust se trouve ainsi au cœur de ce chemin étrange. On se consacre à l’œuvre artistique mais on peut aussi s’y perdre ; les gens, les amis, la famille, le temps. Pour quelle échéance, avec quelles certitudes ?
Mais seuls les écrits restent, dit-on…
C’est la raison pour laquelle j’ai écrit Un poème pour la nuit, recueil dédié à ma mère décédée, seul hommage que j’ai su lui rendre, de fils à mère.
Bernard Giusti interroge, avec la mort soudaine advenue, l’absence ; l’absence de l’absente.
Qu’est la mort pour ceux qui restent ? Un terrible et très fin espace de vie où se termine la vie. Un terrible aveu d’impuissance. Une vie. Un cœur qui bat, des yeux qui voient, un souffle qui soulève la poitrine. Un sang qui vibre sous la peau ; une vie parmi tant d’autres, fondamentale pour ceux qui restent, insignifiante pour l’humanité dans son entier. La Terre ne s’arrêtera pas de tourner mais la mort aura marqué un point. Mis à part les proches, les autres habilités au rite ne verront qu’un objet qu’est devenu ce corps désincarné.
A force de l’habitude de la monotonie, de la vie quotidienne, on ne voit plus ou mal les êtres qui sont autour de nous, qui sont souvent nos piliers, notre fondation ; on ne les écoute pas plus et on ne peut pas tout, compte tenu des impératifs de la vie, professionnelle, sociale et j’en passe. Et puis quand le mot fin subitement apparaît, l’espace du vide nous arrête ; que peut-on devenir face à l’absence ? C’est ce mur soudain que l’on se prend qui nous surprend dans notre finitude.
Ce que l’on n’a pas fait, pas dit… ; faute de courage, de volonté, ou d’éducation ; c’est selon. Qu’est-ce qui nous reste alors ? Le silence, les regrets ou les remords ? Le temps qui nous reste à vivre à expier… ?
L’auteur nous parle de la réalité de la séparation entre deux amants aimants, aimés. Il ne reste que l’amour pour dire ces mots extrêmes ; même si la mort l’emporte, le poème relie les vivants et les morts dans cette symphonie extraordinaire du vivant ; le poème relie. C’est la seule forme et la seule force qui rejoint. Même si tout ne tient qu’à un fil…
Il me faudra désormais attendre mes fantômes et survivre à la nuit.
Survivre c’est vivre. La parole des vivants n’est qu’une faible consolation. J’envie les croyants qui croient en une vie après la mort. J’espère de tout cœur qu’ils ont raison.
Etranger à moi-même,
Je peux enfin t’aimer.
Car les morts sont en nous. Pour toujours ; ils vivront encore tant qu’ils ne seront pas oubliés après nous ; car telle est bien la destinée humaine ; nous vivons nos vies et une fois terminée nous revivons jusqu’à ce que l’on soit définitivement oublié ; en laissant la place aux autres humains. Construite de nous, de nos gènes, de nos œuvres d’art, la vie à venir est celle que nous avons laissé pour que la beauté se propage au travers des décennies et des siècles.
Ecoute ce chant d’amour
Désormais sans écho…
Rien n’est plus terrible qu’une parole perdue qui ne peut rebondir faute d’être écoutée, entendue ; rien n’est pire que le vide en soi. Si la poésie ne peut que résister à la mort, elle édifie un temple de souvenirs, luttant contre le temps inexorable qui passe et qui efface, mais qui rend vivant chaque mot, chacune des impressions et des émotions des vers du poète qui remplissent de songes vivaces la poésie des traces contre la mort.
Elle n’aura décidément jamais le dernier mot !
Jean-Michel Platier
Sur les murs de Bernard Giusti, éditions L’Homme Bleu, 52 p., 2025, 10 €