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  le blog de Bernard Giusti

Articles littéraires (romans, nouvelles, poésies, essais, sciences humaines) ) politiques et syndicaux

Un navire de papier - Laurent Dubois et Michel Diaz

Publié le 1 Décembre 2017 par Bernard Giusti dans Préfaces et présentations, Critiques, Ma bibliothèque, Romans et littérature générale, Photos

Un navire de papier - Laurent Dubois et Michel Diaz

Laurent Dubois (photographies) & Michel Diaz (textes)

Un navire de papier

Préface de Bernard Giusti

Editions Cénomane, avril 2017

 

 

Préface à « Un navire de papier »

 

Imprimer, c’est d’abord laisser son empreinte.

Laurent Dubois et Michel Diaz ont choisi de construire ce recueil autour de cette empreinte que chacun d’entre nous, de par son existence même,  imprime dans le monde. Et si nous creusons notre sillage au fil des jours à mesure que nous transformons la réalité, l’un des moyens principaux dont nous disposons pour opérer cette transformation permanente c’est bien sûr le travail.

Ce n’est donc pas un hasard si les deux auteurs ont choisi pour champ de leur inspiration le cadre d’une imprimerie.

Depuis les apports de la psychanalyse, du structuralisme,  de la linguistique et de la sémiologie, nous savons désormais que tout fait sens et que certains signifiants sont plus porteurs que d’autres ; et l’imprimerie est de ces signifiants, qui renvoie à la fois à l’industrie et à la transformation, à l’humanité laborieuse et à ce signifiant polysémique par excellence : le livre.

 

Devant sa machine, à l’usine, dans le bruit et la chaleur souvent, malgré les camarades parfois à proximité immédiate avec lesquels on s’interpelle, on est seul comme on est seul dans tout acte de création. On pense quelquefois à sa propre existence, on pense à la multitude de ces petits riens qui tissent la trame de la vie quotidienne, aux joies et aux ennuis, mais le plus souvent on laisse vagabonder ses pensées, et la répétition des gestes, l’habitude de leur enchaînement (« on sait ce que l’on fait »), tout cela confère une sorte de « sécurité » au sein de ce « navire au milieu des terres », un espace fermé sans cesse en activité, comme une entité close au milieu du monde. Une sécurité qui reste soumise à l’attention nécessaire portée aux machines, qui d’outils dociles peuvent se transformer en une fraction de seconde en ennemies impitoyables.

 

Laurent Dubois et Michel Diaz ont mis tout leur talent à se glisser dans cette relation entre l’homme et la machine.

L’un en choisissant de nous présenter des images parcellaires de la réalité du travail, en mettant notamment en avant le contraste entre le savant encombrement des ateliers et la surface  immaculée du papier, comme pour nous indiquer que du chaos naît souvent la pureté.

L’autre en s’appuyant sur ces supports visuels pour mieux transcender la réalité et laisser libre cours à l’imaginaire jusqu’à aboutir à nos questionnements existentiels les plus essentiels.

Il s’agissait, à travers les gestes du quotidien, de mettre en évidence une autre réalité. C’est-à-dire une autre interprétation de la réalité, puisqu’aussi bien ce que nous percevons comme immédiat et réel n’est jamais qu’une interprétation, comme l’avait déjà souligné René Descartes.

Il faut donc voir les photos de Laurent Dubois non pas comme un témoignage mais comme une suite de tableaux sur lesquels vient s’appuyer le discours de Michel Diaz. Discours parce qu’on lira les textes en les écoutant, comme la voix inspirée des chœurs antiques dans le théâtre de la fabrique où la pièce qui se joue est celle des êtres en devenir.

 

Le décalage entre les photos, les textes, la réalité, nous amène alors dans un univers poétique où rien de ce qui est donné à voir n’est immédiat, où chaque mot et chaque image renvoie à ce qui est au-delà. Car l’imprimerie renvoie aussi à une « poésie de l’industrie », poésie au sens premier du terme, celui de l’action.

Par ce décalage, par cette distance prise par rapport à la réalité du travail, par ce mouvement volontaire d’éloignement, Laurent Dubois et Michel Diaz réussissent pourtant à faire surgir au fil des pages les vies derrière les images, les êtres derrière les machines, et le « navire au milieu des terres » laisse dans son sillage une empreinte qui n’a rien de figé mais produit au contraire un livre des plus vivants.

 

Bernard Giusti

Octobre 2016

 

Un navire de papier « fait livre » autour des superbes photographies de Laurent Dubois, reliées, tissées entre elles par les mots de Michel Diaz. Texte et images explorent jusqu’à fond de cale le cargo paradoxal et métaphorique, ancré au milieu de la terre ferme de Bessé-sur-Braye (72), qu’est l’usine Arjowiggins. Une usine de fabrication de papier presque paradoxale en effet dans cette France qui se désindustrialise de façon vertigineuse, où le travail se passe de plus en plus des hommes et des femmes. Navire de papier donc mais pas encore vaisseau fantôme. 

Parfois l’œil doit scruter les images pour y apercevoir une silhouette, une forme humaine qui se glisse dans le décor, ou encore se confond avec lui, occupée par sa tâche. Se laisse en effet deviner par moments la frêle présence humaine des soutiers de la salle des machines se faufilant entre les tubes et les câbles, au milieu de l’infrastructure industrielle, des escaliers et des passerelles d’acier, tels des insectes sur les flancs d’un monstre somnolent. Il arrive cependant qu’un visage se détache, mais absorbé par la masse blanche du papier produit, par ses vagues et ses rouleaux, souligné par l’écume feutrée de sa surface et de son grain. Et l’on ne peut s’empêcher de penser que cette immensité immaculée et fascinante un jour « fera livre ». 

Un livre sur tout cela. C’est justement ce qui nous est proposé ici avec une sensibilité totale. L’écriture de Michel Diaz y imprime une intense et profonde méditation, attentive à la matière et à l’essence, à la langue travaillée pour leur donner existence dans la conscience intime d’un temps suspendu, d’un temps qui passe un peu comme hors du monde, attentive aussi au travail des hommes, au regard des hommes au travail, au corps des hommes au travail, au travail du corps des hommes devant les machines… 

> Admirable dans le flux du texte, cette perception émouvante et magnifiée de la fragilité des êtres et des choses qui nous est donnée à lire, à voir, à toucher même. Avec en creux peut- être aussi le sentiment, qui s’installe en nous poétiquement mais aussi de façon vaguement troublante, mélancolique ou nostalgique, de la précarité de ce « navire » de papier et de toute vie sur l’océan du monde où l’homme est si petit. 

 

Jean-Claude Vallejo

 

Article paru dans la revue L'Iresuthe N° 41, novembre 2017.

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