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  le blog de Bernard Giusti

Articles littéraires (romans, nouvelles, poésies, essais, sciences humaines) ) politiques et syndicaux

La Grèce pour penser l'avenir

Publié le 27 Décembre 2023 par Bernard Giusti in Anthropologie, Critiques, bernardgiusti, sciences humaines, Ma bibliothèque

La Grèce pour penser l'avenir

Les sociétés occidentales se sont appuyées sur l’héritage de l’Antiquité, et particulièrement sur celui de la Grèce, pour s’affirmer et revendiquer leur « modernité » dans tous les domaines, et notamment dans celui de la logique à l’œuvre dans la démarche scientifique. Or « La raison grecque est active dans une science qui se donne comme but la recherche de la Vérité et reste à peu près indifférente à la notion de « science appliquée »(1). Pour les Grecs de l’Antiquité, transformer la nature sacralisée relève de l’impiété, voire du sacrilège. On voit d’emblée l’opposition avec la science moderne qui elle cherche les lois de la nature afin de développer les techniques qui permettent de la transformer. On passe d’une société qui s’adapte à la nature à des sociétés qui adaptent la nature.

Dès lors, « Il s’agit […] d’ouvrir l’enquête sur une question qui se profile actuellement sur l’horizon de le recherche en sciences humaines : au nom de quelles règles les sorts de la nature et de la société s’avèrent solidaires, par le positif dans l’Antiquité, par le négatif à l’heure actuelle ? »(2) 

L’objet de cette étude est «… en s’appuyant sur la Grèce, de penser le présent et par conséquent à travers le présent d’entrevoir aussi les différents modèles qui peuvent constituer un avenir possible. »(3) La démarche de l’anthropologue vise les différences en même temps que le fond commun [entre les sociétés], mais sans oublier «l’univers historique daté dans le temps ». Il n’y a donc « pas d’anthropologie historique possible de  quelque civilisation que ce soit, si cette anthropologie historique n’est pas comparative. »(4)

Polythéisme, politique, place de l’homme dans le cosmos, de l’individu, des savoirs (techné et épistémé), concepts de progrès et de pouvoir, tels seront quelques-uns des principaux champs de recherche et de comparaison entre la Grèce  ancienne et nos sociétés modernes(5).

Comment est-on passé du polythéisme antique au monothéisme actuel ? Quelle est la dynamique de cette transition et sur quoi s’est-elle appuyée ? L’étude qu’y consacre Marc Augé explore plusieurs pistes. Notamment que dans le polythéisme fiction et croyance sont sans cesse à l’œuvre sans jamais être séparées. « Le mouvement par lequel nous voyons, dans le monde grec, le mythe devenir récit, épopée, tragédie, ce mouvement d’émancipation de la création littéraire qui se développe parallèlement à celui de la pensée philosophique, n’est-il pas aujourd’hui de s’inverser […] ? » (6) En s’emparant du sacré, la fiction littéraire a tendu peu à peu à s’y substituer, de sorte que l’on se dirige vers un « polythéisme sans dieu », un totalitarisme sans autre pluralité que le chatoiement de surface du patchwork moderne. »(7) Face notamment aux défis actuels des intégrismes, la Grèce ancienne affirmait « une liberté d’esprit incomparable et cependant pétrie de religiosité… »

Huit anthropologues de renom ont participé à cet ouvrage, certes déjà ancien mais toujours d’actualité : Marc Augé, Cornélius Castoriadis, Maria Daraki, Philippe Descola, Claude Mossé, André Motte, Gilbert Romeyer-Dherbey, Marie-Henriette Quet. Grâce à leurs contributions, ils démontrent avec brio que la méthodologie anthropologique peut susciter sans cesse un nouveau regard sur des concepts que l’on croyait bien acquis (comme par exemple en éclairant le polythéisme grec par le polythéisme africain, et réciproquement) et contribuer ainsi à l’évolution permanente des connaissances.

Comprendre le passé pour mieux comprendre le présent et éclairer un tant soit peu l'avenir, une démarche classique mais essentielle de philosophie politique, et comme la politique la compréhension du passé s'inscrit dans une dialectique permanente et doit sans cesse être réévaluée.

Bernard Giusti

 

La Grèce pour penser l’avenir, collectif, coll. « L’Homme et la Société », éd. L’Harmattan, 2000

 

  1. Maria Daraki, p.9
  2. Daraki, p.11
  3. Jean-Pierre Vernant, p.13
  4. Vernant, p.15
  5. Vernant, pp.22-23
  6. Augé, p.41
  7. Augé, p.41

 

publié dans le numéro 63 des Chemins de Traverse (décembre 2023)

publié sur le blog Vendémiaire http://vendemiaire.over-blog.org/

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